Les esquisses nocturnes

La photographie est souvent comme une petite fenêtre romane dans une forteresse. Si vous avez jamais regardé par une telle fenêtre, vous savez qu'elle ne sert pas à voir le monde. Elle éveille seulement notre curiosité quant à ce qui échappe à notre vision. Chaque prise de vue est un cadrage, et chaque cadre coupe la plus grande partie de la réalité. Le reste, appelé photographie, se réfère souvent à peine à des choses et à des environnements qui ont servi pour un modèle. 

L'existence est polysémique. Ce qui n'est pas polysémique n'existe pas ou n'a pas encore été remarqué. Chaque objet a ses mystères-significations. Une simple pierre en a, elles ne sont peut-être pas nombreuses. Mais une pierre taillée par une main humaine en a une multitude.

La ville est construite de pierres taillées, de roches façonnées, de pièces de métal forgé, de voitures, de routes, de ponts, d'escaliers, de fenêtres, de portes, de lampes…  Chaque coin de ville est vu ; quelqu'un y pense ; y passe ; quelqu'un y court ; s'y enfuit ; s'y assoit en attendant, en réfléchissant ; s'y précipite ou flâne, en ressentant de l'amour ou de la haine ou de l'indifférence ; discute au téléphone ; lit un journal ; jette un bout de cigarette en remarque la polysémie de l'existence.

Bien que l'espace de la ville soit saturé de gens, nous même ne connaissons bien que quelques paysages : ceux visible depuis la fenêtre de notre appartement, de notre lieu de travail ou le square que l'on contemple de la terrasse de notre café préféré. Cependant, la façon de regarder la ville, dans la plupart des cas, nie la contemplation. Cul-de sac, places, compositions sont remarqués en passant, quand nous nous dépêchons, quand nous prenons un tramway et jetons à peine un coup d'œil. Ce coup d'œil en lui-même est comme une prise d'une photo.    

Nous sommes habitués à penser que l'évanescence est associée à un phénomène bref. Un geste non - reproduisible, un coucher du soleil banal et beau, un paysage vu de la fenêtre d'un train… Justement, le paysage vu d'un train s'évanouit mais il est par sa nature statique. L'évanescence est plus significatif de l'observation que de l'objet.

Autrement dit, il existe un escalier sur lequel nous marchons chaque jour et qui nous n'avons jamais regardé, bien que son parallélisme, sa régularité, les angles qu'il crée avec le mur, la couleur vibrante du béton éclairé par un lampadaire - tout  cela crée un cadre qui mérite un regard, une contemplation, un contact.

Mariusz Sapiński
Montpellier, avril 2003  (n'oubliez pas des droits d'auteur!)


Traduction 

Magdalena Sendor et Olivier Renaudin